Les réseaux des femmes
La culture fait de la résistance
«Rendre plus étroites les relations de confraternité entre femmes de lettres.» Tel est l'objectif assigné au prix littéraire Femina, créé en 1904 sous la houlette d'Anna de Noailles. Ce que ses statuts ne disent pas, c'est que ce prix devait aussi, à l'époque, faire la nique à un Goncourt très misogyne. Cent ans plus tard, on cherche en vain, dans les milieux littéraires, les traces de la confraternité voulue par les fondatrices du Femina. Rares sont les univers aussi farouchement anti-féministes que celui de l'édition! Certes, le jury est composé uniquement de femmes. Mais sa présidente, Régine Deforges, réfute avec véhémence le label «réseau féminin»: «Le Femina a toujours couronné des hommes aussi bien que des femmes. Nos méthodes sont les mêmes que celles des jurys masculins. Comme eux, nous fumons le cigare.»
Le monde du cinéma n'est pas plus accueillant pour les femmes. En France, elles ne sont qu'environ 15% parmi les réalisateurs. Malgré ce manque de visibilité, elles répugnent à s'afficher «féministes». Il n'existe pas de syndicat comparable au puissant Women in film américain, un lobby très structuré qui a pignon sur rue à Hollywood et annonce clairement son objectif: «Donner du pouvoir aux femmes dans l'industrie cinématographique.» En France, le seul réseau actif est celui des professionnelles de festivals cinématographiques. Jackie Buet, directrice du festival du film de femmes de Créteil, qui se tient chaque année en mars, a contribué à créer, en 2000, un groupe de femmes au sein de la coordination européenne des festivals de cinéma. L'une de ses collaboratrices parisiennes vient ainsi de passer un mois au sein du comité d'organisation d'un festival belge, une autre a fait de même à Barcelone. La différence, selon elle, entre un réseau féminin et un réseau masculin? «Nous ne faisons pas de coupure entre vie professionnelle et vie privée. La dernière fois que le groupe européen s'est réuni à Paris, j'ai invité les 20 femmes à dîner à la maison.
Les femmes découvriraient-elles à leur tour les charmes discrets des réseaux de pouvoir et d'influence? Sont-elles en passe de les mettre au service de leurs causes, de leurs préoccupations et de leurs attentes? Pour Jacqueline Laufer, sociologue et professeur à HEC, les temps changent indéniablement: «En rejoignant ces réseaux ou en participant à leurs activités, les femmes montrent qu'elles sont décidées à sortir de l'ère de la discrétion. A présent, elles veulent être visibles et s'affirmer sur la place publique pour contribuer au débat sur l'égalité professionnelle et sur l'accès des femmes aux sphères de la responsabilité et du pouvoir. Ces réseaux s'inscrivent moins dans la revendication que dans l'affirmation, la proposition, le débat.» Mêmes les plus secrets sortent de l'ombre. Les franc-maçonnes de la Grande Loge féminine de France (GLFF), parées de leurs baudriers bleu vif, battent joyeusement le pavé parisien entre les féministes de La Meute et celles des Chiennes de garde, au nom des droits des femmes. «Notre activité «réseauteuse» est récente, reconnaît Marie (1). Longtemps, nous nous sommes cantonnées dans l'activité spirituelle. Mais, depuis quelques années, la majorité des s?urs, à commencer par les plus jeunes, aspiraient à être plus visibles.» L'argument qui a fait mouche auprès des aînées? «Ne pas parler, ce n'est pas préserver la discrétion, plaide Marie. C'est laisser les hommes s'exprimer à notre place. Or nous ne pouvons pas rester à l'écart des grands enjeux de société.» Dans le débat sur le voile, les maçonnes de la GLFF n'ont pas hésité à se démarquer de leurs frères en se prononçant très tôt pour une loi - même si elles la jugent frileuse et incomplète. Les femmes ont compris qu'elles ne seraient jamais si bien servies que par elles-mêmes. Fini, le temps des douces illusions. «Elles ont cru qu'elles seraient reconnues pour leur mérite, explique Marie-José Grandjacques, présidente de Femmes 3 000, association qui ?uvre pour une participation accrue des femmes dans la vie publique. Or elles découvrent qu'elles doivent se battre, aller chercher la place qui leur revient parce qu'on ne la leur offrira pas sur un plateau.» Paradoxalement, ce sont les lois en leur faveur - sur la parité en politique en juin 2000, puis sur l'égalité professionnelle onze mois plus tard - qui ont fait office de déclencheur. «La loi sur la parité, en donnant un coup de projecteur sur la place des femmes en politique, a provoqué un effet d'entraînement, notamment dans le domaine professionnel», estime la socialiste Anne Hidalgo, première adjointe au maire de Paris. L'avocate Anne Nègre, qui préside la vieille Affdu, l'Association française des femmes diplômées des universités, fondée en 1920, est plus sévère: «Nous avons pensé, à tort, que le combat était terminé. Cependant, nous vivons une véritable régression. Aux législatives de 2002, le PS et l'UMP ont préféré payer la pénalité prévue par la loi plutôt que respecter la parité... qu'ils avaient eux-mêmes votée.
La lutte continue. Mais, aujourd'hui, les femmes sont décidées à se battre à armes égales pour faire tomber ce bastion du machisme ordinaire qu'est la politique. «A partir d'un certain niveau, dans ce domaine comme dans l'entreprise, le choix se fait par cooptation, et non par sélection objective sur les compétences de chacun, souligne la jeune députée UMP Valérie Pécresse, membre de l'association Femmes, débats et société, créée en 1999. Un lien de confiance et de complicité doit se tisser. D'où la nécessité de développer des réseaux de solidarité entre nous, véritables outils de promotion.» Tous les premiers mardis du mois, à l'heure du déjeuner, les adhérentes de Femmes, débats et société se retrouvent au Sénat pour travailler ensemble et alimenter la boîte à idées de l'UMP. «Si on ne se fait pas la courte échelle, ce sera le règne des femmes et des filles de...» souffle une élue. Nicole Barbin, présidente de Femmes leaders, à Clermont-Ferrand, est bien de cet avis: «La parité, même imposée, dévalorisante et condescendante, est un tremplin. Essayons de l'utiliser du mieux possible en épaulant des femmes dont nous sommes fières, pas des femmes alibis!» Roselyne Bachelot ne s'en est pas privée. Depuis qu'elle s'est installée aux commandes du ministère de l'Ecologie, elle a, de son propre aveu, «défendu les candidatures de femmes». Hélène Jacquot-Guimbal, à la direction générale de l'administration du ministère, Michèle Pappalardo, à la tête de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, et Marcelle Ramonet, à la présidence du Conseil national du bruit, lui doivent leurs postes. Anne Hidalgo, elle, mène le combat de la parité à la mairie de Paris. «C'est chose faite au niveau de la haute administration de la ville. On travaille à présent sur les postes de sous-directeurs et de chefs de bureau.» L'Europe a donné une solide impulsion aux réseaux de femmes. Monique Halpern, présidente de la Clef, la Coordination française pour le lobby européen des femmes, fondée en 1991, en est convaincue. «Nous représentons 75 associations et coordinations d'associations françaises, précise-t-elle. Nous travaillons main dans la main avec le Lobby européen des femmes (LEF), fort de 3 000 associations, à la réalisation effective de l'égalité des droits et des chances entre les hommes et les femmes.» Les réseaux européens prolifèrent. «Depuis le milieu des années 1990, il existe même un lobby européen des femmes scientifiques, pointe la sociologue Catherine Marry. Les lois européennes pour l'égalité ont contribué à l'émergence de ce réseau, par ailleurs encouragé par la Commission européenne.» Femmes et sciences, l'association française fondée en 2000 par la physicienne Claudine Hermann, première femme élue professeur à Polytechnique, est le produit de cette «dynamique européenne». «Le constat qu'il y avait des associations de femmes scientifiques dans d'autres pays d'Europe et la réflexion sur la parité en politique ont été les moteurs de mon action», avoue-t-elle. A l'époque de l'égalité et de la parité, mêmes théoriques, les femmes sont allergiques aux discriminations, petites et grandes. Sinon, les 14 filles de la fanfare des Brass Bouillonnes ne feraient pas sonner leurs cuivres et leur grosse caisse, le dimanche matin, entre les étals de fruits et légumes des marchés parisiens. «Chez les étudiants des beaux-arts, les fanfares restent un fief masculin, racontent Anne-Laure Thierry et Charlotte Hennequart, 25 ans, diplômées de l'Ecole d'architecture de Versailles. Voilà pourquoi nous avons décidé, en 1997, de créer la nôtre. Entre filles.» Les répétitions hebdomadaires sont l'occasion, pour celles qui travaillent, d'échanger les dernières informations sur les agences qui recrutent. L'aversion pour l'exclusion est particulièrement vive chez les pionnières comme l'avocate Dominique de la Garanderie, première femme élue bâtonnier en 1998 - la seule jusqu'à présent. Voilà presque trois ans, elle a lancé l'Association française des femmes juristes, membre du réseau européen European Women Lawyers' Association, né un an plus tôt. «En devenant bâtonnier, j'ai découvert le monde étrange du pouvoir, confie-t-elle. Aux femmes, le droit de la famille, celui des étrangers et, éventuellement, le droit social. Aux hommes, le droit pénal des affaires, qui mêle argent et pouvoir. Et le «plafond de verre» est le même qu'ailleurs dans les métiers juridiques.»
Ce «plafond de verre», Virginie (1), 38 ans, responsable marketing dans une grande entreprise, en a assez de s'y cogner la tête. Assez d'attendre une promotion de directrice qui ne vient pas. Assez d'entendre les chasseurs de têtes l'interroger sur sa disponibilité, sous prétexte qu'elle est mère de deux enfants, plutôt que discuter motivation, expérience, compétences. «Les femmes accèdent aujourd'hui aux postes de responsabilité, pas aux postes de décision», regrette-t-elle. Les chiffres lui donnent raison. Selon le pointage réalisé en 2003 par l'association Action de femmes de Tita Zeïtoun, la féminisation des cercles du pouvoir, dans les entreprises, progresse au rythme de l'escargot: l'an dernier, 6,15% des mandats sociaux des 200 premières sociétés d'industrie et de service étaient entre des mains féminines - contre 5,33% deux ans plus tôt.
Virginie appartient à deux clubs de femmes: celui des anciennes de son école de commerce, ESCP-EAP au féminin, et le très sélect Paris Professional Women's Network (PPWN), branche française de l'European Professional Women's Network. Deux jeunes réseaux nés ces dernières années, comme bien d'autres, du ras-le-bol des femmes cadres, exaspérées de piétiner en rangs serrés aux portes du pouvoir. «La première génération élevée dans la mixité s'est interrogée, arrivée à la quarantaine, sur la place des femmes en politique et dans les entreprises, analyse la Franco-Canadienne Avivah Wittenberg-Cox, présidente de PPWN et membre de Grandes Ecoles au féminin. Elles ont pris conscience de l'injustice de leur situation et elles ont décidé de s'organiser pour agir.» Ça tombe bien: «L'importance des réseaux informels réservés aux hommes» est l'un des principaux freins à la carrière des femmes qu'identifient les... entreprises (2). A telle enseigne que certaines ont favorisé l'éclosion de réseaux féminins dans leurs murs. C'est le cas de France Télécom, IBM, Hewlett-Packard, General Electric Medical Systems et d'Essilor, récemment rejoints par l'Agence spatiale européenne. Six clubs de femmes cadres et dirigeantes qui, depuis deux ans, se réunissent au sein du cercle Inter'Elles. «Ce réseau nous permet d'établir des contacts informels dans l'entreprise et entre entreprises», se réjouit Laurence Dejouany, chez France Télécom.
Le networking est même l'un des thèmes de discussion favoris des... réseaux. Celui qui fait un tabac, en tout cas, dans les tables rondes, colloques et ateliers qu'ils organisent. HEC au féminin lui consacre même l'un de ses six «chantiers» permanents. Discussions houleuses assurées. Car ces nouvelles «réseauteuses» sont loin de s'entendre sur l'art et la manière de pratiquer le networking. Il n'est que de prononcer devant elles les mots de pouvoir, de lobby et d'influence pour sentir leur malaise. Palper leur ambiguïté et leur ambivalence. Attention, tabous! C'est qu'elles répugnent à faire «comme les hommes». «Nous sommes dans le partage d'expériences, positives ou négatives, dans l'entraide», affirme Cristina Lunghi, d'Arborus.
Beaucoup évoquent avec délice la chaleur des réunions entre femmes sous les appliques Art déco du très germanopratin Café de Flore, rendez-vous mensuel de Femmes 3 000, ou dans les salons feutrés de l'hôtel Concorde-Lafayette, fief de Dirigeantes. Une atmosphère qui permet, selon Laurence Dejouany, de «baisser la garde pour raconter ses difficultés avec une grande liberté de parole. D'aborder des questions délicates comme la façon de se faire respecter dans un groupe d'hommes.» Virginie apprécie les «networking cocktails» du PPWN, le dernier jeudi du mois, au bar du très branché Nomad's, et les déjeuners bimensuels au Cercle suédois ou à la Résidence Maxim's: «Les témoignages et le vécu des autres m'aident énormément. Il n'y a pas beaucoup d'endroits où l'on peut demander conseil sur les moyens de s'y prendre face à un patron macho!» Douce empathie...
Les nouvelles adeptes du réseau sont d'accord, aussi, pour dénoncer haut et fort les injustices faites aux femmes. Isabelle Germain, présidente de l'Association des femmes journalistes, excelle dans l'exercice. Sa spécialité? Passer au crible les journaux et les émissions de télé. «Une étude approfondie des médias écrits et audiovisuels nous a permis de constater que les femmes ne représentaient que 18% des personnes citées. Même chose pour les photos.»
Les apprenties «réseauteuses» applaudissent volontiers le mentoring au féminin - ou «marrainage» - comme celui qu'a mis en place l'Association des femmes chefs d'entreprise, à l'initiative de sa section de Montpellier. Ses adhérentes, patronnes expérimentées, s'engagent à soutenir une créatrice d'entreprise de leur région, en lui apportant conseils de pro, réseau de contacts et soutien moral. C'est aussi la raison d'être de la toute jeune association Femmes Business Angels, pilotée par Béatrice Jauffrineau. «Nous voulons mettre en relation des femmes investisseuses, dotées d'une solide expérience managériale, avec des porteuses de projets pour qu'elles leur apportent financement et expertise», détaille-t-elle. Première (heureuse) élue: la Franco-Indienne Aruna Schwarz, 41 ans, fondatrice d'une société parisienne d'édition de logiciels, Stelae Technologies.
Les membres des associations vantent également les vertus de la formation et de l'information. PPWN en a fait l'un de ses chevaux de bataille. Au programme: modules de formation axés sur la «connaissance de soi» et ateliers pratiques sur l'ambition, la communication, la négociation, la gestion du temps et le leadership au féminin. «Les réseaux servent à apprendre plutôt qu'à se rendre des services mutuels et à s'immiscer dans les cercles du pouvoir», tranche Avivah Wittenberg-Cox.
Un point de vue qui en hérisse quelques-unes. A commencer par la Clermontoise Nicole Barbin, de Femmes leaders: «Cessons de nous taire et créons nos propres réseaux d'influence, de pouvoir et de décision pour faire face à la puissance des réseaux masculins!» C'est là, précisément, que le bât blesse. Pas question de faire «comme les mecs», disent beaucoup. Parce que les femmes n'ont pas le même appétit du pouvoir, jurent-elles, ni la même fascination pour la puissance et la gloire. Alice Guilhon, spécialiste de l'intelligence économique et doyenne du corps professoral du Ceram, l'école de commerce et de management à Sophia- Antipolis, en est convaincue. Pour elle qui appartient à la fois à des clubs de femmes et à la très mâle Association des auditeurs de l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure, il n'y a pas photo: «Les hommes s'efforcent d'utiliser le réseau pour faire leur autopromotion. Les femmes, elles, cherchent moins leur intérêt personnel, elles sont moins dans une approche utilitaire, davantage dans le partage.»
Question d'éducation, observe Eliane Moyet-Laffon, fondatrice du club de femmes cadres sup' et dirigeantes HRM Women. «Nous faisons nos chochottes face à l'exercice du pouvoir, parce que nous ne sommes pas préparées pour le prendre.» Au risque de tourner en rond dans un «entre soi» réconfortant et stérile. Nicole Rosa, qui dirige l'association La Compagnie des femmes-formation, avertit: «Elles ont tendance à chercher des oreilles compatissantes où déverser leurs plaintes. Les femmes ont bien du mal à passer de la discussion à l'action, à être claires sur ce qu'elles veulent et sur les renoncements auxquels elles sont prêtes pour y parvenir. Or le business et la politique, c'est la guerre!» Elle ne croit pas beaucoup, non plus, à la solidarité dont ses congénères feraient naturellement preuve les unes envers les autres. Son livre du moment? Un brûlot, écrit par deux Américaines spécialistes de la mixité dans l'entreprise et intitulé: La femme est un loup pour la femme (3)... Marie-Claude Lory, présidente de Femmes et finance, n'est pas loin de le penser. «A plusieurs reprises, je me suis entendu dire, par des femmes que je sollicitais pour intervenir devant notre club, qu'elles se contrefichaient des associations féminines, sous prétexte qu'elles, elles avaient réussi, et que nous n'avions qu'à en faire autant!».
« Les femmes travaillent beaucoup plus que les hommes... »
De profonds changements ont eu lieu concernant le travail des femmes depuis un demi-siècle.
Pouvez-vous rappeler les grandes évolutions et faire le point sur la situation actuelle ?
Il faut préciser que les femmes ont toujours travaillé. Mais leur accès massif au salariat et donc à l'autonomie économique est une grande conquête de la fin du XXe siècle. Aujourd'hui, elles représentent 46 % de la population active, elles étaient 34 % en 1960. L'essentiel de la croissance de l'activité économique depuis cinquante ans en France est dû aux femmes.EN 1962 on comptait 6,7 millions de femmes actives pour 12,1 millions aujourd'hui. Dans la même période, les hommes sont passés de 12, 6 millions d'actifs à 14,2 millions.
Second changement : la scolarisation massive des filles depuis les années 1970. A partir de cette date, elles ont rattrapé et dépassé les garçons en termes de réussite scolaire et universitaire. Elles sont plus nombreuses à être bachelières et diplômées de l'université que les jeunes gens. Malgré tout, des inégalités persistent et même se reconstruisent entre hommes et femmes sur le marché du travail. Ces inégalités se lisent en matière de salaires : entre 15 et 25 % de moins pour les femmes (selon les secteurs et la manière de compter). En termes d'accès aux responsabilités, comme l'explique Jacqueline Laufer, le fameux « plafond de verre » existe toujours. Même si le nombre de femmes cadres a beaucoup augmenté, il n'est pas proportionnel à la valeur des diplômes obtenus par les filles. Enfin, le surchômage féminin continue à se manifester : chez les moins de 25 ans par exemple, les chiffres montrent que l'accès au premier emploi est plus difficile pour elles. Les femmes mettent aussi beaucoup plus de temps que les hommes à retrouver un emploi après un licenciement.
Par ailleurs, la fourchette des métiers socialement possibles pour les femmes reste toujours plus restreinte. La concentration des emplois féminins s'est aggravée depuis les années 1980.
En 2002, sur les 31 catégories socioprofessionnelles que distingue l'Insee, 60 % des emplois féminins sont regroupés dans 6 d'entre elles (53 % en 1983) : il s'agit des employées (fonction publique, commerces, etc.), des personnels de services aux particuliers, des institutrices et des professions intermédiaires de la santé (les infirmières par exemple), soit au total 6,5 millions de femmes .
Pourtant, on a l'impression que les femmes investissent de plus en plus les métiers anciennement réservés aux hommes : avocates, journalistes, chercheuses...
Toutes les femmes ne sont pas logées à la même enseigne. Les écarts se sont aussi creusés entre elles. Nombre de diplômées de l'université trouvent des emplois qualifiés anciennement masculins. Ces métiers ? magistrates, professeures, médecins, etc. ? ne se sont d'ailleurs pas dévalorisés en se féminisant.
A l'autre extrémité de l'échelle sociale, cependant, les femmes se retrouvent cantonnées dans le salariat d'exécution, dans ces métiers typiquement féminins du secteur tertiaire ? vendeuses, caissières, aides ménagères... ?, souvent à temps partiel et pour beaucoup en situation de sous-emploi. En France aujourd'hui, les 3 millions de personnes qui travaillent pour un salaire mensuel inférieur au smic sont, à 80 %, des femmes.
On constate que la France est un des pays d'Europe où le taux d'activité féminine est le plus élevé, et en même temps c'est aussi l'un des pays où le taux de fécondité est le plus haut. Comment expliquer ce paradoxe, présent également au Danemark, alors qu'en Allemagne ou en Italie, on retrouve une corrélation inverse (faibles taux d'activité et de fécondité) ?
On observe en effet une volonté chez les Françaises de cumuler vie professionnelle, vie familiale, vie privée... Les études montrent même que, lorsqu'elles sont au chômage, ces jeunes femmes retardent l'arrivée d'un enfant. On découvre aujourd'hui cette corrélation mais, en France, elle existe depuis la féminisation du salariat dans les années 1960. La croissance du taux d'activité féminine a été essentiellement le fait des jeunes mères de famille.
Autre changement important : les femmes ont aujourd'hui des trajectoires professionnelles continues ? comme les hommes ? et n'interrompent plus leur carrière au moment de leur maternité, ce qui n'était pas le cas dans les années .1960 Le taux d'activité des femmes de 25 à 49 ans était alors de 40 % ;
il est de 80 % aujourd'hui.
Les Françaises auraient-elles alors une recette miracle pour concilier vie professionnelle et vie familiale ? Un changement dans les rapports hommes-femmes ? Un partage des tâches plus équitable ? Ou alors sont-elles dessuperwomen qui gèrent allégrement ce que les sociologues ont appelé « la double journée de travail » ?
Sur le partage des tâches, les enquêtes sont assez affligeantes :
on a l'impression que rien n'a changé, les femmes assument toujours la très grosse part du travail domestique et de soins aux enfants. Certainement, des choses ? difficilement quantifiables ? ont changé...
Mais elles relèvent plutôt des mentalités que des pratiques concrètes ; il est certain que, si l'on ajoute travail professionnel et travail domestique, les femmes travaillent beaucoup plus que les hommes.